FIAT RUGIADA
« Mais qu’est-ce que vous avez avec la lumière? » - n°4
Performance de Rugiada Cadoni avec Vito Gennaro Giacalone et Deed Julius
dans le Collectif Hic Sanguis Meus
Mercredi 1er février 2017 à 19h
La Capela, 20, rue Philippe de Girard, 75010 PARIS
Depuis son envol en solo, Rugiada Cadoni est incandescente. De fougue impétueuse ou de
geste posée, de son sourire radieux , elle brille. Libre. Libérée. Et à l’heure de
l’obscurantisme pesant, du retour de l’esprit réac' et du progressisme trébuchant, pas étonnant
qu’elle ait décidé de nous interpeller sur la lumière. Rugiada Cadoni se déguise en Liberté, liberté
chérie, sculpture mouvante du chef-d’œuvre de Bartholdi la torche brandie. Et performe sur l’énergie
qui irradie. D’abord, elle en a fait don, en passation consignée, interrogeant sur l’individualisme et
ses absurdités ; ensuite, elle s’est prise pour une lumière, tapant la p(r)ose pour observer quid du
spectateur ou de l’artiste avait plus de Narcisse que de souci à se faire. Le troisième tableau de son
triptyque performatif s’achève religieusement sur la quête de son mystère ; ou comment les
expérimentations de l’art nous éclairent.
FIAT LUX-E. Rugiada Cadoni part en mission d’optique. Lumière projetée, rejetée, zénithale,
centrale, de côté, spectrale, d’appoint, de loin, classique, stroboscopique, elle rejoue dans un cheminement
touche-à-tout la parole divine première. Que la lumière soit. Parce que dans notre réalité qui tourne sombre,
quand on attend toujours les clartés de l’avenir, il est peut-être temps que l’artiste nous apostrophe. Et ce
n’est pas du luxe. C’est vrai ça, qu’est ce qu’on a avec la lumière? Elle nous attire comme des mouches,
quand les rues brillent la nuit comme en plein jour, quand nos regards hypnotisés convergent tous vers le
moindre écran, quand on se souvient du lustre au théâtre, quand le bon éclairage d’une expo accouche d’un
tableau sublime qu’on n’aurait pas remarqué. Elle nous dérange, comme on dénigre les églises passées à la
fée électricité, comme la bougie synonyme de vanité, comme on l’éteint d’une lampe avec ou sans génie,
avec ou sans esprit, quasi systématiquement depuis quelques temps, et pas pour économiser de l’énergie à
cause de la crise de l’environnement. Alors, qu’est-ce qu’on a avec la lumière? Voilà l’artiste intercesseuse
entre des corps luminaires et le fil conducteur de notre imaginaire.
FIAT FLUX. Rugiada Cadoni est le tableau vivant d’une investigation poétique. Allégorie du pouvoir
humain mais métaphore de notre civilisation en berne, elle revient pour ce dernier tableau en Statue de la
Liberté les mains vides, et part en éclaireur à la recherche de la lumière. De toutes les manières. Quitte à
croiser quelques Prométhée de poussière. Elle déambule, elle tâtonne, elle expérimente : vide-plein, clair
obscur, jour-nuit, sommeil-éveil, rêve-cauchemar, elle compose en pieds libres - mais très calculés - ses
propres illuminations éparses. A l’ombre d’une toile, sous son spot ou dans le flot continu des hallogènes,
elle se déplace et nous balade. L’icône populaire s’amuse. Elle nous allume ici, elle nous aveugle là,
déléguant l’offrande des perles de la mer de ses yeux comme autant d’éclats. Actrice d’ombres chinoises,
paparazzi dardant le flash stroboscopique, elle donne à voir et rayonne. Qu’elle se recoiffe ou qu’elle
défasse sa couronne. Le trajet faussement nonchalant de sa nébuleuse vous lie de son regard azur : que la
quête soit. Mais quelle destination à cela?
FIAT CADONI. Centre de gravité aux pas légers, du corps célèbre au corps céleste, Rugiada
Cadoni est son Pygmalion et sa Galatée, la planète et le soleil de sa propre galaxie. Au milieu des
constellations des spectateurs, elle fait l’astre, de la toile filante à l’étoile suivie. Emancipée des symboles de
la couleur, Liberté nuancée de gris. Mais ce n’est pas pour faire joli. Loin d’elle la veilleuse gardienne d’une
valeur essentielle du monde moderne au parfum d’iconolâtrie ! Voilà le figé de la statuaire qui se mue. Le
phare anthropomorphe qui n’éclaire plus rien de ses mains nues. Le solo show perverti en complicité avec le
monde des affaires. Le corps allégorique et androgyne fait Chair. La dignité républicaine de la coiffe
débauchée en chapeau à grelots de bouffon du roi. Ainsi soit Rugiada : de Statue en Fou, de Peuple en
Liberté, d’Odalisque en Vénus de Botticelli, voilà un monument au corps de l’artiste performeur où la
transgression schizophrénique embrasse la schizophrénie transgressive de ses incarnations pour mieux
nous interroger sur ce(ux) qui éclaire(nt) et ce(ux) que nous mettons en lumière.
Marie Boisseau
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